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SPÉCIAL CANNES
Le bonheur à part… entière. L'histoire commence dans la chaleur douce d'une fin d'été, dans la campagne italienne. Nous sommes dans un petit village d'Ombrie. La jeune Gelsomina, onze ans, y vit avec ses parents, ses trois sœurs et Coco, l’amie de la famille. Là, dans une ferme délabrée, il produisent artisanalement le meilleur des miels, une vraie merveille…
C'est une histoire un peu sortie du réel, hors du temps. Cette famille vit à bonne distance de ses premiers voisins, éloignée du monde et de ses démons par le père, plein de tourments retenus, enfermé dans ses idéaux, à la fois lucide et un peu fou. Hors du temps cette maison l'est aussi, des pièces insalubres et récentes se répondent, en constituent l'ossature. Au cœur de son décor et de l’action, cette maison sibylline cristalliserait presque le propos du film. Le monde qui avance, celui qui se retient, les interrogations, la lucidité, les envies d'ailleurs d'une jeune fille et le temps retenu de ses parents. Un personnage en soi immobile, autour duquel vivent, se croisent, se contournent, et s’enlacent souvent tous les membres de cette famille si singulière. Le miel qu'ils produisent les colle, les attache, les englue peut-être parfois. Mais c'est leur force, ils sont une famille-tribu, viscérale, fusionnelle. Les corps s'embrassent, courent, se couchent, se détendent, jouent avec les éléments, l'eau, la boue, la faune.
L'histoire de cette famille va être traversée par deux événements imprévus qui vont l'obliger à effectuer un léger pas de côté dans son cheminement : Martin, jeune délinquant, arrive pour quelques temps à la ferme dans le cadre d'un programme de réinsertion, tandis que l'équipe de l'émission de télé-réalité « Les villages des merveilles » vient investir la région. La présentatrice de ce programme désuet est incarnée par une Monica Bellucci mi-déesse, mi-fée, icône toute d'or et de perles vêtue. La scène de tournage de l'émission venue à la rencontre des artisans du coin et de leurs merveilles se déroule dans une grotte, chaque producteur se retrouve en costume traditionnel, moment irréel et futile, plein de projections et de fantasmes de ce qui reste de l'enchantement du monde, et de ce qu'on voudrait nous en présenter. Gelsomina devient le trait d'union entre ces deux univers inconciliables. C'est elle qui inscrit sa petite communauté à ce concours, comme une porte ouverte vers un ailleurs possible…
Sans jugement sur la dichotomie de ces mondes qui se racontent sans se rencontrer vraiment, le film d'Alice Rohrwacher est extraordinairement lumineux dans sa force à témoigner de l'intime. On oscille entre fiction, chronique sociale, film onirique, envoûtés par la qualité des images tournées en super16 qui incarnent les corps et subliment les espaces.
Ce film est un film d’amour. Celui de la réalisatrice pour toutes ces Italies qu’elle célèbre. L’Italie et ses merveilles, ses provinces, ses campagnes toutes si belles et singulières.
Nous garderons longtemps en mémoire la présence généreuse et le visage solaire de la jeune actrice principale, Maria Alexandra Lungu. Elle porte le film comme elle semble porter sa famille, lucide, pleine de retenue et de respect filial.
Les Merveilles était en compétition au dernier Festival de Cannes et a reçu un Grand Prix inattendu mais bien mérité (on avait déjà beaucoup aimé le premier film de la réalisatrice, Corpo celeste, en 2011).