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La Floride : ses palmiers, ses flamands roses, son fameux jus d’orange et ses retraités venus trouver le soleil pour l’éternité. Quand il ferme les yeux, pas encore pour toujours – plutôt crever ! – c’est à la Floride qu’il pense, Claude. À sa douceur, à sa chaleur, et surtout à sa fille qui est partie vivre là-bas et qu’il rêve de retrouver. Mais en attendant de s’envoler, de prendre ses clics, ses clacs et ses baskets fluos à scratch (comme les enfants, parce que les lacets, c’est plus de son âge), c’est près du lac d’Annecy qu’il tue le temps. Son temps, étrange paradoxe de la vie quand elle arrive à son dernier acte, est à la fois compté et s’écoule très lentement, grain après grain, matin après matin, jus d’orange made in Florida après jus d’orange made in Florida, le seul bien entendu qui trouve grâce à ses goûts de vieux Monsieur. Claude est vivant et s’il oublie parfois la date, les comprimés, il n’oublie pas ça : que le jour se lève encore pour lui.
Il n’a plus d’épouse, il n’a plus de boulot depuis un bout de temps, il n’a pas vraiment d’amis, le dernier en date vient de passer l'arme à gauche – cela dit il s’était fâché avec lui depuis quelques décennies… alors qu’est ce qui lui reste pour se sentir vivant ?
Une employée à domicile dévouée qu’il fait tourner en bourrique et dont il reluque sans fausse pudeur et avec une évidente nostalgie les contours et volumes, une sublime collection de lampes à huile qu’il bichonne amoureusement, une vue imprenable sur les montagnes qui le gonfle prodigieusement et puis une seconde fille aimante et débordée.
Carole, l'aînée, n’a pas choisi la Floride, elle, restant auprès de son papa parce qu’il le valait bien. Elle gère l’usine de papier dont son père était jadis le patron, et jongle entre un emploi du temps de ministre, une vie privée quasi inexistante et le casse-tête du recrutement des aides à domiciles que son père use et décourage, il faut bien le dire, assez rapidement.
Claude a toute sa tête, enfin presque… À quoi bon finalement garder en mémoire toutes ces petites choses insignifiantes qui vous polluent une vie et ne servent au final qu’à entretenir de vaines relations avec les autres qui, la plupart du temps, vous pompent l’air ? Pourquoi garder au fond de son cœur ce qui vous l’a brisé ?
La fin des emmerdes, c’est bien de ne garder que le meilleur, le sourire espiègle de sa mère quand elle se maquillait, les rires de ses filles, l’odeur du sous-bois et le craquement des brindilles sous ses souliers de môme. Et tant pis si les peurs de l’enfance s’invitent sans avoir été invitées… Une fille, un père. Le temps qui passe et qui inverse les rôles… on a beau le savoir depuis le début de l’histoire et connaître la fin, personne n’est vraiment préparé à cela.
Tirée d’une pièce de théâtre à succès, Floride est porté par un Jean Rochefort magnifique et bouleversant, dont le regard pétillant et joueur n’a rien perdu de son charme, en dépit des années – et n'oublions surtout pas Sandrine Kiberlain, elle est parfaite ! Réservant son lot de scènes burlesques et de face-à-face souvent très drôles, le film n’est bien évidemment pas qu’une comédie légère : la vieillesse, le temps qui passe ne font pas de cadeau… Mais s’il fallait un épilogue à cette chronique qui sait être aussi cocasse que douloureuse, ce pourrait bien être aussi celui que l’on peut donner à toute vie riche de joies et de tristesses : carpe diem.