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Thomas Bidegain n’est pas un inconnu dans le cinéma français. En tant que scénariste, il possède même une sacrée carte de visite. Rien qu’avec Jacques Audiard, il a signé Un prophète, De rouille et d’os et Dheepan. Mais, visiblement, il ne se contentait pas d’écrire, il devait aussi observer, apprendre, emmagasiner avec le désir de passer derrière la caméra. Les Cowboys est donc son premier film en tant que réalisateur. Rarement un titre aura été aussi bien choisi. Du début à la fin, en effet, sous des aspects différents, nous sommes renvoyés, non seulement à l’univers des cowboys, même si les personnages principaux sont bien français, mais aux références du western en tant que genre cinématographique. Le film débute en 1994, dans l’est de la France, lors d’un festival de musique country, ce genre de rassemblement où vous passez pour un zombie si vous ne portez pas votre stetson, votre veste à franges et vos santiags, avec ou sans éperons. Alain – François Damiens, aussi convaincant que dans Suzanne – figure importante de cette petite communauté, monte sur scène pour interpréter un morceau puis danse avec sa fille Kelly, sous le regard attendri de sa femme et de son fils Georges, dit Kid. Mais quelques heures plus tard, alors que la fête touche à sa fin, Kelly a disparu. La vie de cette famille va basculer quand ils vont apprendre très rapidement qu’elle est partie avec le garçon qu’elle aime, Ahmed, et qu’elle s’est convertie à l’islam. Le père s’engage alors dans une quête obsessionnelle à laquelle participera son fils. Thomas Bidegain ne cache pas les films qui ont inspiré le sien. Hardcore de Paul Schrader d’abord, dans lequel un père, calviniste intégriste, retrouve la trace de sa fille disparue dans le milieu du cinéma pornographique. La Prisonnière du désert de John Ford ensuite, où le personnage raciste interprété par John Wayne part à la recherche de sa nièce enlevée par des Indiens. Cela dit, ces références avouées n’empêchent pas Thomas Bidegain de réaliser une œuvre originale et profonde. C’est un film populaire et ambitieux qu’il nous propose, démontrant que l’on peut s’adresser au plus grand nombre avec intelligence et délicatesse. Les codes du western sont bien entendu présents : héros solitaire, chevauchées vers des horizons infinis, guet-apens des Indiens, échange de squaws, calumet de la paix, pistolets, arcs et flèches… Mais, au-delà de ce cadre, ce que raconte Les Cowboys, c’est l’histoire d’un homme ordinaire, déterminé à retrouver sa fille, mais totalement désarmé face à des événements qui le dépassent. C’est également l’histoire d’un fils qui, alors qu’il cherchait la reconnaissance de son père, se trouvera lui-même en s’émancipant des représentations binaires de celui-ci. Il aura fallu pour cela passer des fausses évidences d’un cowboy à la pleine conscience de la complexité du monde. Le jeune Finnegan Oldfield, qui joue le rôle du fils, tient parfaitement sa place auprès de François Damiens, définitivement un grand acteur à qui il ne reste plus qu’à sélectionner ses rôles avec davantage de rigueur. Quant à Thomas Bidegain, il a franchi avec aisance l’écueil du « film de scénariste », c’est-à-dire celui où l’histoire prend le dessus. Certes, l’histoire qu’il nous raconte est forte, mais elle est menée de main de maître par un réalisateur à part entière, qui devrait rencontrer un succès public mérité.