Après "Les Beaux Gosses", Riad Sattouf revient avec un film à l'univers décalé et loufoque, vision très personnelle du conte de Cendrillon. Le casting est alléchant puisque l'équipe gagnante du film précédent est de retour (Vincent Lacoste, Noémie Lvovsky, Anthony Sonigo), accompagnée par de nouvelles têtes (Charlotte Gainsbourg, Anémone...) et la popularité du réalisateur assez assise pour que l'on entre dans le film avec une certaine confiance. Le principe du film repose sur l'inversion déjà vue de la place de l'homme et de la femme au sein ici, d'une société totalitaire, vénérant les poneys et où les navets sont des denrées prisées que l'on se refile sous le manteau. Jacky incarne la Cendrillon de la république démocratique et populaire de Bubunne, maltraité par sa famille qui l'a recueilli après la mort de sa mère. Il est, comme tous ses amis, amoureux fou de La Colonelle et va tout faire, aidé par un oncle aux allures de bonne fée prostituée, pour se rendre au bal où sera choisi le futur mari de cette dernière.
Le souci du film réside dans le fond du propos. "Jacky au royaume des filles" ne manque pas d'audace et de propositions dans la création de ce royaume original, où les hommes portent des tuniques (mi-burka, mi-carmélite selon le point de vue) et où les femmes sont vêtues comme l'armée SS, mais il peine à dessiner une réelle réflexion au-delà de la simple parodie du conte de Perrault. Qui dit inversion des genres, dit grandes scènes attendues comme ce simulacre de viol par une Valérie Bonneton un peu trop caricaturale... toutes les femmes ou presques sont décrites comme autoritaires, grossières et / ou perverses (sauf la mère du héros, assez simplette), ce qui laisse entendre quelque part que tous les hommes sont des salauds, réduits ici à des traits de caractères extrêmement clichés. Au contraire, les hommes (du film) sont sensibles, se comportant en vraies pestes les uns avec les autres, totalement aveuglés par des amours de midinettes et jamais préoccupés par un quelconque esprit de révolte (à l'exception au départ, de l'oncle prostitué, qui finit par se ranger là où va le vent), bornant également la femme à ses représentations les plus basiques.
Là où Sattouf devient plus intéressant, c'est dans la relation ambigüe qu'il tisse entre La Colonelle et Jacky (tantôt grimé en femme ou assumant sa "masculinité" toute relative). Il tente de pousser un peu plus loin la réflexion sur les genres, sur les apparences et les codes acceptés par la société, cristallisée dans un final pertinent bien que maladroit. Les plus belles scènes du film sont d'ailleurs portées par le duo, avec une Charlotte Gainsbourg (inattendue dans ce registre) qui semble à son aise sans l'être et dont cet étrange aura confère à certains plans beaucoup d'élégance et de tenue.
A contrario, les seconds rôles sont assez mal exploités, la qualité de jeu n'est pas tout à fait au rendez-vous et les acteurs peinent à trouver leur crédibilité dans les personnages proposés (à l'exception d'Anémone) et on a du mal au fond, à bien cerner ce que tout ce dispositif a priori engagé (les Russes qui viennent faire une visite diplomatique pour admirer les inventions totalitaires du royaume), souhaite démontrer. À ce sujet, le réalisateur reste assez vague, voulant se détacher de toute réappropriation politique marquée et c'est bien là que le bât blesse. Car sans véritable fond, la critique devient assez fade, le décor très artificiel et scolaire et l'histoire ne parvient pas à trouver son véritable souffle, perdu entre comédie entre potes et film satirique non assumé. Sattouf a peut-être pêché par excès de gourmandise - on le sentait d'ailleurs peu à l'aise lors de la projection presse dès qu'il s'agissait d'évoquer sa relation aux acteurs plus "bankables" - et on espère qu'il reviendra à ses premiers amours, avec plus d'humilité.