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Éros et Thanatos
« Il n'y a que deux sujets importants dans la vie : le sexe et la mort. Shakespeare ajoutait le pouvoir mais le pouvoir est seulement une question de manipulation de la mort et du sexe. Les Grecs évoquent la présence d'Eros et de Thanatos à la création et à la fin du monde… » Peter Greenaway
On le sait, il y a des réalisateurs qui font plus que d'autre office d'accélérateurs de particules, d'ascenseurs supersoniques, qui vous projettent direct dans des univers esthétiques jamais explorés, vous font fondre de bonheur les mirettes et les neurones. Des réalisateurs qui se nourrissent autant de la Grande Histoire, de l'histoire de l'art, de la mythologie tout en les triturant dans un sens profondément moderne. Lars Von Trier et Peter Greenaway sont de ceux-là…Von Trier est bien sûr présent sur cette gazette avec son incroyable diptyque Nymph()maniac qui évoque d'ailleurs furieusement les obsessions et la démarche narrative de Peter Greenaway.
Peter Greenaway, grand cinéaste britannique souvent snobé sous prétexte que lui-même serait trop snob, metteur en scène d'opéra, peintre et plasticien, obsédé également par la musique, a toujours cru au pouvoir de l'image, considérant que la vérité du cinéma n'était pas dans le texte ou le dialogue, saisissant toutes les occasions de mettre la peinture en sons et en mouvements. Ses plus grands films sont d'ailleurs des hommages à la peinture : Meurtre dans un jardin anglais où toute l'intrigue tournait autour d'un peintre de paysage, Zoo, fabuleux hommage à Vermeer ou plus récemment La Ronde de nuit qui racontait le couronnement puis la chute de Rembrandt.
Ici le prétexte du film est l'histoire de Hendrik Goltzius, célèbre graveur et peintre hollandais du XVIe siècle qui vient solliciter le margrave (un margrave est un prince délégué du Saint Empire romain germanique) de Colmar pour financier la réalisation d'un ouvrage gigantesque illustrant les épisodes érotiques de l'Ancien Testament. La proposition titille immédiatement le marquis qui, en échange, demande à la troupe de Goltzius de lui présenter des tableaux vivants mettant en scène les épisodes décrits, qui vont évoquer les différentes perversions : le voyeurisme avec Adam et Eve se donnant l'un à l'autre devant Satan, l'inceste avec Loth et ses filles, l'adultère avec David et Bethsabée, et même la nécrophilie avec Salomé. Comme souvent chez Greenaway, tout cela n'est que le point de départ d'une fascinante réflexion sur le pouvoir, le sexe et la mort, le tout dans une mise en scène outrageusement théâtrale, d'une beauté plastique impressionnante que pourrait envier un Bob Wilson.
Dans une de ces mises en abyme qu'affectionne particulièrement Greenaway et qui lui permet de jouer avec différents niveaux de narration, l'histoire est racontée postérieurement par Glotzius sous la forme d'une conférence qui parcourt l'histoire de la peinture et des représentations des différentes situations, des différents personnages bibliques évoqués. Cette splendeur visuelle est enrichie par la géniale musique minimaliste de Marco Robino, qui évoque irrésistiblement Michael Nyman ou Philip Glass avec qui travailla autrefois Greenaway.
Attention film à ne pas mettre entre toutes les mains