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Depuis plusieurs années, Jaime Rosales décortique avec un talent acéré les fêlures et les fractures de la société espagnole par le prisme de leurs répercussions sur l'intime, et il le fait avec une exigence formelle, une inventivité plastique qui ont valu à tous ses films des récompenses dans les plus grands festivals. Souvenez-vous en particulier du splendide La Soledad, le titre qui nous l'a fait découvrir, dans lequel il évoquait des destins brisés par les attentats de Madrid…
Jaime Rosales explore ici la jeunesse espagnole à l'heure du chômage et de la désespérance sociale. Natalia et Carlos sont amoureux et ils ont tous les deux vingt ans, l'âge supposé des espoirs et des projets, à ceci près qu'ils n'en ont plus vraiment. Plus vraiment envie de se lever pour Natalia, chômeuse déjà chronique, tandis que Carlos parvient à faire quelques chantiers au noir. Mais ils ont envie de vivre, ils font la fête dans la rue, à défaut de se payer une entrée en boîte. Carlos est fan de « l'Atletico », le club populaire rival du chic « Real » de Madrid, et quand c'est trop la galère, ils acceptent de tourner pour 300 euros un porno amateur…
Mais quand arrive une grossesse pas franchement attendue, l'irréductible Natalia décide à la surprise générale de garder l'enfant, même si ça l'oblige à s'exiler à Hambourg, le soi-disant eldorado économique allemand : elle n'est pas germanophone mais comme elle le dit froidement, « pas besoin de parler allemand pour nettoyer les chiottes ». A l'image de cette phrase crue, l'actrice Ingrid Garcia Jonsson insuffle d'ailleurs au personnage de Natalia une énergie et une détermination saisissantes.
Jaime Rosales s'attache au quotidien le plus prosaïque des deux amants, les filme au plus près et fait bien ressentir l'impasse économique qui condamne toute une jeunesse. Il décrit parfaitement une société où les nouvelles technologies sont partout et aggravent la situation en rendant l'homme inutile. Natalia et Carlos sont d'ailleurs, comme tous les jeunes, accros à ces technologies, vivant une bonne partie de leur existence devant les écrans, (télé, jeux vidéos, internet), filmant chacun de leurs gestes, partageant le vide de leur existence sans issue sur les réseaux sociaux. Jaime Rosales insère d'ailleurs ces images vidéos dans son film et se confirme comme un des cinéastes les plus inventifs du cinéma européen actuel.