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SPÉCIAL CANNES
Il n’est un secret pour personne qu’en dépit d’un environnement économique défavorable, le cinéma grec est en plein essor. Original, novateur et ce n’est donc pas une surprise de voir le dernier film de Panos H. Koutras sélectionné à Cannes dans la sélection Un certain regard. Ce quatrième film du réalisateur grec est une coproduction gréco-franco belge, qui a d’ailleurs faillit ne jamais voir le jour après le démantèlement de la chaîne publique grecque ERT pour raison économique.
Panos H. Koutras, révélé en 1999 avec l'extravagant L'attaque de la moussaka géante et confirmé avec Real Life (2004) et Strella (Panorama de la Berlinale 2009). Très à son aise dans la tragicomédie et ne reculant devant aucun mélange des genres, de la fable à l'hyper-réalisme, de la focalisation sur une relation humaine à un vaste portrait de société, en passant par des temps euphoriques de comédie musicale et des incursions saisissantes dans l'onirique et le fantastique, le cinéaste s'autorise toutes les libertés.
C'est une ode fantasque, drôle et touchante à la liberté et à la tolérance. Et elle porte un titre qui est tout l'opposé de ce que devient la Grèce aujourd'hui : Xenia, ça veut dire hospitalité, une valeur qui fut historiquement celle de la Grèce Antique, où l'étranger était le bienvenu (enfin, s'il ressemblait un peu trop à un Perse, ça se discutait…). Xenia, ce fut aussi le nom, dans les années 60/70, époque de croissance économique, de consommation effrénée et de tourisme en plein essor, d'une chaîne d'hôtels de luxe, peu à peu abandonnés, tels de vieux paquebots échoués au bord de la Mer Egée, au fur et à mesure que la crise torpillait ces vaisseaux surévalués. Aujourd'hui Xenia sonne un peu ironiquement dans un pays où le droit du sang prime désormais sur le droit du sol, et où la chasse aux migrants (et par extension à tous ceux qui leur ressemblent) a été abandonnée par la police aux fascistes de Aube Dorée, ce parti qui ferait passer notre FN pour un mouvement centriste…
C'est dans ce contexte que l'on fait la connaissance de Dany et Odysseas, deux frères de 16 et 18 ans séparés par la vie et que tout oppose. Dany, extraverti et insouciant – voire parfois complètement irresponsable – vit en Crète et assume pleinement son homosexualité au point d'en faire un gagne-pain auprès de messieurs peu scrupuleux. Mais sa mère vient de mourir et il décide de rejoindre à Athènes son frère Odysseas, aussi hétéro et rangé que lui-même est folle et chaotique. Et entre le cadet, ses vêtements colorés, son petit lapin blanc dont il est dingue, sa passion lourdingue pour Patty Bravo, la pasionaria de la variété italienne des années 70, et l'aîné, qui se partage entre son boulot dans un snack et son coloc amateur de foot, le courant ne va pas tout de suite passer.
Mais les deux frères vont être amenés à se lancer dans une improbable équipée qui va les rapprocher : Ody aura bientôt 18 ans et, Albanais par sa mère, il risque de se faire expulser s'il ne retrouve pas rapidement le père grec qui a abandonné sa famille et aurait été repéré à Thessalonique, où il serait devenu… politicien d'extrême-droite ! Voilà donc Ody et Dany lancés dans une quête du père qui aura tout de l'odyssée initiatique et refondatrice de leur relation…
L'histoire des deux frères s'inscrit donc en plein dans un pays marqué par la crise, par les crispations autour des questions d'identité nationale, par les comportements xénophobes (les militants d'Aube Dorée sont à tous les coins de rues)… et par l'omniprésence de la télé-réalité, dont la bêtise contribue activement au chaos ambiant – Odysseas voudrait réussir le concours de la « Greek Star », c'était un vœu de sa mère.
De tout ce matériau humain, politique et social, Panos Koutras tire une belle et forte et savoureuse chronique, picaresque et profondément émouvante, à l'image de la relation entre les deux frères. Une chronique relevée par des personnages secondaires formidables, notamment le patron flamboyant d'une boîte de nuit ringarde, et par de très convaincantes échappées fantastiques – ou oniriques au choix –, des incursions dans l'imaginaire rêveur de Dany, dans lequel on croise des lapins géants et surtout le fantôme omniprésent de la fameuse Patty Bravo, susurrant ses chansons aussi sirupeuses qu'envoûtantes…
L'atypique Panos H. Koutras pourrait être un petit cousin kitsch et funky des Dardenne, il fait preuve d'une lucidité d'analyse et d'une générosité de sentiments qui donnent furieusement confiance dans l'avenir de la Grèce, dont on ne doute pas que les valeurs de tolérance et de démocratie finiront par reprendre le dessus.