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L’un des premiers mérites de ce ce surprenant film indien, tragédie familiale matînée de fantastique, est de nous faire découvrir un peuple que l’on connaît peu et mal : les Sikhs. Dont on ne retient le plus souvent que les signes les plus « ostentatoires » de leur apparence : le turban enserrant une abondante chevelure, la barbe tout aussi longue… À part ça, on ne sait rien d’eux, ou pas grand-chose. Pourtant l’histoire des Sikhs, adeptes d’une religion monothéiste et mûs par une philosophie égalitaire rejetant le système indien des castes, est extrêmement riche et mouvementée.
C’est d’ailleurs lors d’un épisode marquant de cette histoire que commence le film : en 1947, lors de la partition de l’Inde et du Pakistan, quand une grande partie des Sikhs installés du mauvais côté de la frontière durent s’exiler en Inde, persécutés par la majorité musulmane. La très belle scène d’ouverture montre d’ailleurs la rivière, voie d’échanges qui symbolisera bientôt la séparation infranchissable entre deux pays désormais ennemis. Dans cette tourmente, Umber attend son quatrième enfant. Et après avoir eu trois filles, il espère impatiemment un garçon qui sera son héritier. C’est une question de dignité, c’est une question de rang à tenir, c’est presque une question de vie ou de mort… Alors quand une quatrième demoiselle pointe son nez, le père horriblement déçu va plonger dans un incroyable déni et faire de Kanwar un garçon, envers et contre tout et d’abord contre l’évidence biologique. Pour la petite fille dans des habits de garçon, plus les années vont défiler, plus la situation va devenir étrange, traumatisante, intenable…
Le Secret de Kanwar porte un regard lucide et tendre sur le destin des exilés qui ne parviennent pas à retrouver la paix intérieure et cherchent toujours à se raccrocher en vain à un foyer : le réalisateur fut lui-même ballotté de sa Tanzanie natale, soumise au chaos inter-ethnique, à Bombay puis à l’Angleterre. C’est aussi une fable saisissante sur la condition des femmes, d’une terrible rudesse dans tout le subcontinent indien, quelque soit l’ethnie envisagée. Une question qui se mêle à celle du genre, dans un pays où les travestis ont toujours existé mais où la transgression sexuelle peut entraîner la mort. À cet égard, la jeune actrice Tilotama Shome est tout bonnement exceptionnelle dans sa manière d’incarner les doutes identitaires de son personnage, obligée d’être garçon avant que son corps féminin ne s’impose, notamment quand elle est contrainte de se marier à une jeune femme tzigane. Tout aussi remarquable est Irrfan Khan, révélé au public occidental grâce à son rôle de veuf dans le délicieux The Lunchbox, qui incarne ici formidablement la douleur et la folie du père. Quant aux superbes images, elles mettent en valeur les lumières écrasées de chaleur du Penjab (pour l’authenticité, Anup Singh a d’ailleurs tourné en langue penjabi) qui contrastent avec les clairs obscurs des palais, protégés derrière leurs meurtrières et leurs fenêtres à claire-voie.