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Une femme avec toi
Ozon est un conteur malicieux. Il construit son récit comme une envoûtante demeure aux recoins cachés. On croit en avoir fait le tour, puis on découvre encore de nouvelles pièces, des passages secrets qui nous avaient échappé. Il a un plaisir gourmand, presque enfantin, à nous désarçonner en toute impunité, en toute tendresse. Le voilà qui bouscule tranquillement les interdits, prolonge la réflexion au-delà ou en-deçà des marges et des conventions sociales. Ne croyez pas qu'il essaie de vous tirer une larme facile, en vous parlant du sort de ses personnages, non ! Le malheur dure peu et ne l'intéresse guère, juste le temps nécessaire pour vous faire aimer ses héros, vous apprivoiser. C'est alors que tout peut commencer.
Au commencement est un drame. Mais avant ce commencement-là il y en eut un autre. Celui d'une belle amitié de petites filles qui, au lieu de s'étioler avec le temps, ne fit que se renforcer. En quelques images, non dénuées d'humour, voilà vingt ans de vie retracés et tout le reste à imaginer. La complicité entre Claire, la petite rousse réservée, et Laura, grande, blonde, lumineuse. Amitié étonnante s'il n'en fallait juger que par leurs physiques mal assortis. L'une coincée dans sa peau de gamine, l'autre représentant déjà l'éternel féminin. L'une devenant spontanément l'admiratrice inconditionnelle de l'autre et réglant ses pas dans ceux de cette créature d'une beauté et d'une sensualité qui lui paraissent inaccessibles. L'avant, l'après puberté. Claire grandit avec délice dans l'ombre d'une Laura qui aborde la vie avec l'aisance et la spontanéité déconcertantes de celles pour qui tout est facile. Laura, telle une muse portée au pinacle, renforcée, sans qu'elle le laisse transparaitre, par les regards d'amour inconditionnel que lui porte Claire. Vient le temps des garçons, des flirts et, là encore, Claire se contente d'imiter son âme-sœur. Il y a, une fois de plus, un temps de retard entre les deux, ce passage initiatique vers le monde adulte n'a pas la même consistance pour l'une et l'autre. Comment devient-on femme ? Quand le devient-on ? Tant de questions qu'elles ne se posent même pas mais qui pourtant animent leur parcours. Comme l'aurait résumé Simone : « On ne naît pas femme, on le devient».
Puis Laura se marie. Claire suit comme à son habitude. Laura pond un petit… On se dit que Claire ne va pas tarder… Dès que le temps de retard sera passé… Une vie qui pourrait être sans surprise.
Puis l'impensable. La Maladie. L'absence de modèle l'obligeant désormais à être inventive, à goûter par elle-même les fruits défendus, à découvrir qui elle est. Et à accepter Viginia comme elle est… Virginia qui se nourrit de la féminité de Claire, la lui révèle…
Grande histoire d'amour, grande histoire d'amitié, de vilains petits canards qui se transforment en cygnes. Ozon n'a peur de rien. L'acteur Raphaël Personnaz dit ne pas être sorti indemne du film, qu'il l'a fait s'interroger (sur ses préjugés, sa masculinité, sa féminité ?). Film pertinent, intelligent, profond… il faut garder une part de mystère pour cette œuvre qui marivaude subtilement entre plusieurs genres. Quant à Romain Duris : il est plus que jamais exquis !