Le Prédateur
Comment et pourquoi tout cela a-t-il commencé ? Nul ne le saura jamais sans doute et c’est sûrement dans les mystères insondables de l’âme meurtrière que réside l’étrange pouvoir de fascination qu’exercent depuis toujours les faits divers. Celui dont est tiré LA PROCHAINE FOIS JE VISERAI LE CŒUR défraya la chronique à la fin des années 70 dans le département de l’Oise. Pendant plusieurs mois, entre 1978 et 1979, les habitants se trouvèrent plongés dans l’angoisse et la terreur : un maniaque prenait pour cibles des jeunes femmes. Après avoir tenté d’en renverser plusieurs au volant de sa voiture, il finit par blesser et tuer des auto-stoppeuses choisies au hasard (une en mourra). L’homme était partout et nulle part, échappant aux pièges des enquêteurs et aux barrages. Cette affaire eut d’autant plus de retentissement que le meurtrier en question n’était autre qu’un gendarme modèle, censé enquêter sur la série de crimes… Une sombre histoire de loup dans la bergerie.
L’ histoire nous est livrée brute et sans suspense inutile. On le sait très vite, Franck est à la fois le gendarme et l’agresseur. Une fois établie cette donnée, le récit va s’attacher à le suivre pas à pas dans sa descente aux tréfonds de sa quête destructrice, une quête dont les contours nous resteront toujours assez étrangers, le récit distillant avec parcimonie les indices qui pourraient nous en dire un peu plus sur le profil de l’homme. De fait c’est bien l’opacité du personnage qui domine, comme si un flou l’entourait, nous empêchant de déceler au travers de ses actes les origines du mal. La force du film réside dans cette approche assez froide et clinique d’un personnage pour lequel il n’y a ni regard complaisant, ni analyse psychologique, ni biographie symptomatique. Et comme pour mieux accentuer ce sentiment glacial devant des actes livrés tels quels, dans leur horreur ordinaire, tout le récit se déroule dans une ambiance hivernale. La brume matinale d’une forêt encore recouverte de givre, la buée s’échappant de lèvres transies, les bains de glaçons que le meurtrier s’inflige comme pour annihiler en lui toute chaleur humaine qui pourrait survenir par erreur dans un recoin de son corps, de son cœur.
L’homme est seul, même si en lui cohabitent deux personnages. D’un côté un tueur froid et déterminé, enfermé dans un monde dont lui seul connaît les codes. De l’autre un gendarme méticuleux et déterminé, enfermé dans une pratique professionnelle dont il connaît et respecte parfaitement les règles. Guillaume Canet excelle dans le rôle plus que mal aimable d’un homme au visage figé comme un masque, qui semble côtoyer à chaque seconde de son existence une foule de démons intérieurs. Nul doute, nul remords, nul regret, il tue pour la seule et simple raison qu’il a endossé le rôle d’un assassin. Si le rôle d’un gendarme est d’arrêter les voyous, celui d’un tueur est de tuer. Pourtant, si le type nous apparaît comme foncièrement antipathique, quelques éclats fugace de bonté savent aussi nous toucher… par la grâce d’une virée nocturne en forêt et d’une harde de cerfs, ou celle d’un regard dans lequel on pourrait déceler une trace discrète mais peut-être sincère de tendresse.
La Prochaine fois je viserai le cœur (un vrai titre de roman noir) est aussi une plongée dans une enquête d’un autre âge, un temps où les ordinateurs n’étaient pas omniprésents, où les téléphones portable n’existaient pas, où le sigle ADN ne disait pas grand-chose à qui que ce soit… Sans jamais jouer la carte de la nostalgie ni de la reconstitution historique laborieuse, le film aborde avec une intelligence subtile ce monde qui n’existe plus, cet hier pourtant pas si lointain.