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Empoisonneurs
Pour ce premier film très réussi – produit par les frères Dardenne, quand même ! – Stéphane Demoustier est parti d'un fait divers tragique qui a défrayé la chronique il y a quelques années. Un père de famille, aveuglé par son désir de voir son fils devenir champion de tennis, avait drogué un jeune adversaire avec un somnifère puissant. Le malheureux, allergique au médicament, ne s'en était pas remis. Un drame qui révélait au grand public les conséquences désastreuses de l'esprit obsessionnel de compétition, même chez les enfants, même par procuration… Stéphane Demoustier a eu l'intelligence de décoller du fait divers lui-même, d'élargir son point de vue et de filmer sur la durée la relation complexe entre un père et son fils.
Il est d'ailleurs fort peu de question de tennis au début du film. On découvre Jérôme, un cadre commercial dans la grande distribution, à un moment charnière de sa vie : il approche la cinquantaine, il vient d'être licencié par la chaîne de magasins dont il dirigeait une succursale quelque part dans la banlieue lilloise. Ses patrons n'ont rien à lui reprocher, d'ailleurs la scène d'introduction et d'adieu à ses employés est assez émouvante, il est simplement une victime de plus de l'obsession du jeunisme qui veut qu'un jeune cadre soit toujours plus performant, et que le renouvellement est indispensable à l'entreprise.
Jérôme accuse le coup mais qu'à cela ne tienne, il est tout de suite prêt à rebondir : la grande distribution, il connait et c'est son truc, il va monter sa propre affaire. Il a une idée précise : il veut vendre des chaussures à prix discount. Mais il lui faut un lieu pour son projet de magasin, des investisseurs… bref pas mal de si avant que ça ne se concrétise… Sa femme ne partage pas son enthousiasme entrepreneurial, elle s'éloigne insensiblement, entre incompréhension, désintérêt et inquiétude. Pendant ce temps leur fils Ugo, onze ans, se focalise sur le tennis où il excelle, ses entraineurs envisageant même de l'amener en finale régionale, ce qui lui ouvrirait les portes d'une section sport-études à Roland Garros ! Face à toutes ces aspirations parfois contraires, la famille résistera-t-elle ?
Tout en subtilité et en intelligence, Terre battue sait ménager la tension tout au long de son intrigue, montre bien un monde aseptisé de banlieues pavillonnaires impersonnelles et de zones commerciales sans fin qui obsèdent Jérôme. Un monde où le statut social, la réussite – professionnelle, amoureuse, sportive – priment sur tout autre considération. Un monde où les solidarités ne se révèlent que quand les situations sont dans l'impasse. Jérôme et Ugo ne sont absolument pas anormaux, ils n'ont rien d'antipathique, ils sont juste un père et un fils qui tentent de trouver leur place dans une société de compétition.