3 | 3 |
Notre chère Yolande Moreau est une fois de plus magnifique dans ce très chouette film, premier long métrage de Zoltán Mayer, remarqué jusqu'ici pour son travail de photographe – qui lui a sans doute bien servi pour composer les images magnifiques de ce Voyage en chine. Elle est ici Liliane et dans les premières séquences on la sent comme absente, à côté d'elle-même, infirmière quinquagénaire fonctionnant en pilotage automatique, pas vraiment malheureuse mais pas non plus très épanouie dans son mariage avec Richard, son compagnon de toujours (comme d'habitude impeccable André Wilms). Si elle prenait le temps, si elle courait le risque de faire une pause, de regarder en arrière, elle en conclurait sans doute qu'elle est un peu passée à côté de sa vie. Mais pas de quoi en faire un plat…
Et puis, au milieu d'une nuit pas plus insomniaque qu'une autre, le téléphone sonne, un de ces appels brefs qui vous réveillent et changent le cours de votre existence. Son fils unique Christophe vient de mourir accidentellement. Loin, très loin, au fin fond de la Chine, où il habitait depuis des années et où elle n'est jamais allée lui rendre visite. Pour couronner le tout, le corps ne peut être rapatrié que si un des parents se rend sur place. Sur un coup de tête, Liliane décide d'y aller seule, elle qui n'a jamais été une grande voyageuse intercontinentale… Et la voilà, sans connaître un mot de vocabulaire chinois et en baragouinant un anglais plus qu'approximatif, qui s'embarque pour la Chine, d'abord perdue dans la tentaculaire Shanghaï puis se dirigeant jusqu'à un petit village des montagnes du Sichuan, cette région luxuriante du centre de la Chine, pas très loin des confins himalayens.
C'est d'abord le voyage géographique qui séduit, on ouvre de grands yeux, on s'étonne de chaque détail en même temps que notre héroïne… et en parallèle on est profondément touché par le voyage intérieur qu'entame Liliane : au fur et à mesure qu'elle découvre ce qui faisait la vie de son fils dans ce pays du bout du monde, au fil des rencontres avec la femme qu'il aimait, avec les gens qu'il côtoyait, elle renoue avec lui les liens qui s'étaient rompus… Il y a en particulier cette scène superbe et puissamment évocatrice : Liliane, errant dans le village, entend soudain les échos d'une chanson de Jacques Brel, elle se laisse guider par la musique et arrive jusqu'à une petite cour où un groupe de jeunes gens s'est réuni pour fêter entre amis son fils disparu… Zoltan Mayer filme amoureusement les forêts de bambous où semble flotter l'esprit de Christophe, il traduit de manière très sensible la spiritualité qui se dégage des célébrations taoïstes, et on se met en même temps que Liliane à s'attacher à cette terre belle et hospitalière, à ces gens simples, d'une générosité sans égale, qui savent être drôles et élégants comme la splendide petite amie de Christophe ou la logeuse facétieuse, alter ego chinoise de Liliane.