La réalisatrice française Hind Meddeb livre un documentaire humaniste et engagé sur le sort des migrants sans abri pris au piège des rues parisiennes. "L’exil est menteur, il se joue de toi avec ses belles avenues illuminées (…) Il s’en moque que tu sois blessé, trompé, malade ou épuisé. D’illusions, il te bercera. Quand le feu de la pauvreté te ronge, la peur règne sur ta vie". La tour Eiffel est en effet bien loin, tout au fond de l’horizon, sous un ciel de grisaille, pour les migrants à la rue du documentaire Paris Stalingrad [+] de Hind Meddeb, présenté en première internationale au programme TIFF Docs du 44e Festival de Toronto après des débuts au printemps dernier à Cinéma du réel.
"Les descentes de police sur les campements de réfugiés sont de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes aussi (…) Que faire quand on devient témoin d’une politique ouvertement hostile aux étrangers ? Je décide de filmer pour garder une trace, pour montrer ce que ma ville inflige aux nouveaux arrivants." Nous sommes à l’été 2016, dans la capitale française et la voix off de la réalisatrice donne le ton de son approche du sujet des migrants qui s’entassent dans le quartier de Stalingrad dans un enchevêtrement de tentes ou étendus à même le bitume sur des cartons. Souvent partis de leur pays contre leur gré et arrivés à Paris au terme de périples dangereux ("quelqu’un sans problèmes ne viendrait pas ici. Personne ne quitterait père et mère pour venir ici dormir dans la rue et vivre dans la douleur. Personne ne risquerait sa vie en traversant le désert et la mer"), ils se retrouvent pris entre l’enclume de la police détruisant méthodiquement leurs habitats précaires et le marteau d’administrations quasi inaccessibles (l’enregistrement obligatoire pour pouvoir déposer ultérieurement une demande d’asile est déjà plus qu’un parcours du combattant). Dans ce chaos stagnant, la bonne volonté des bénévoles tentant de conseiller, distribuer de la nourriture, trouver un hébergement d’urgence, semble une goutte d’eau dans l’océan. Mais en dépit de ce sentiment profond d’être indésirables, voire traités comme des animaux, les migrants encaissent, solidaires, et gardent la foi ("nous avons perdu nos illusions. Pas un jour sans humiliation en Europe. Et que ressent ton cœur ? Il t’implore de résister") à l’image du Soudanais Souleymane, 18 ans, qui écrit des poèmes et qui survit sur la route depuis l’âge de 13 ans, passé notamment par les mines d’or du massif du Tibesti, entre le Tchad et la Lybie ("si tu demandes ton dû, ils te disent que tu es un esclave, ils te tuent"). Un exil parisien qui se poursuivra en solitaire à Nancy quand l’État français décidera fin octobre 2006 de "mettre à l’abri" les 4000 personnes recensés alors sur les campements de Stalingrad, la ville de Paris érigeant dans la foulée des kilomètres de grillages pour dissuader les dormeurs ("désormais le défense des frontières s’invite au cœur de la ville").
Alternant caméra directe de style reportage, séquences des déambulations de Souleymane dans la ville rythmées par ses poèmes, et voix off complétant l’information, Paris Stalingrad ne révèle rien qu’on ne sache malheureusement déjà sur l’errance urbaine des migrants, mais le documentaire offre une voix engagée, sans filtre, empathique et précise sur les espérances et le quotidien de ces laissés-pour-compte en plein milieu d’une "Ville lumière" qui poursuit sa vie comme si de rien n’était, avec la bénédiction des pouvoirs publics qui repoussent cette misère de plus en plus au Nord de la capitale. D’ailleurs, comme le souligne la réalisatrice, "depuis le printemps 2017, pour la première fois de son Histoire, l’État français expulse vers le Soudan, l’Afghanistan et la Somalie, des pays où la vie de ceux que l’on renvoie est menacée."