Un jour si blanc

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Dans une petite ville perdue d’Islande, un commissaire de police en congé soupçonne un homme du coin d’avoir eu une aventure avec sa femme récemment décédée dans un accident de voiture. Sa recherche de la vérité tourne à l’obsession. Celle-ci s’intensifie et le mène inévitablement à se mettre en danger, lui et ses proches. Une histoire de deuil, de vengeance et d’amour inconditionnel.

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SEMAINE DE LA CRITIQUE : CANNES 2019

Quelque chose dans le blanc

L’incident déclencheur de ce deuxième long métrage de Hlynur  Pálmason se situe lors d’une excursion en montagne. “Tout à coup, les nuages sont arrivés et tout est devenu complètement blanc. Je ne voyais plus rien, tout était blanc et immobile. Je sentais qu’il y avait quelque chose de mystérieux caché dans ce blanc que je voulais explorer.” Il commence par filmer le prologue, sans aucun financement, deux ans avant le début du tournage principal. “J’ai commencé à écrire et à développer le projet en 2013, c’est donc un processus qui a duré sept ans. Mais je travaille toujours en parallèle sur plusieurs projets. Cela leur donne le temps d’émerger tout en se nourrissant les uns les autres.” Il écrit en pensant au comédien Ingvar Eggert Sigurðsson, “grand acteur physique, très présent émotionnellement et formidable collaborateur. Il a accepté car nous venions de finir un court métrage ensemble, The Painter”. Hlynur Pálmason va de nouveau travailler avec la chef opératrice Maria von Hausswolff, dont le travail avait été très remarqué sur la photo de son film précédent, Winter Brothers. Quant à la question de savoir ce qu’il attend de la sélection de A White, White Day à la Semaine de la critique, il déclare : “Il n’y a pas de cinéma dans ma ville et la salle la plus proche est à 400 km. Ce n’est pas une blague. Alors je meurs d’envie d’aller au cinéma et de découvrir la sélection. Et je suis un fan de la Semaine, d’autant que j’ai appris récemment qu’une de mes œuvres préférées, L’esprit de la ruche de Victor Erice, y a été projetée. Je suis donc très honoré de faire partie de leur compétition cette année.”

« On dit que les jours où tout est blanc, où il n'y a plus aucune différence entre la terre et le ciel, alors les morts peuvent nous parler, à nous qui sommes vivants. »
C'est un de ces jours blancs, si blancs, aveuglément blancs, que montre le premier plan de ce fascinant polar métaphysique islandais. Sur une route sinueuse de bord de mer, écrasée par la brume dans un paysage figé par le froid de l'hiver, une voiture file vite, trop vite. Les virages s’enchaînent, jusqu'à celui qui sera fatal.
Sans réelle transition, on découvre une grande maison en construction posée au milieu de la lande sauvage. Dans une longue séquence immobile, les saisons défilent, la pluie s'abat, la neige recouvre tout, le soleil illumine la végétation qui s'éveille alors que la maison prend forme. Et on comprend que cette maison est celle que Ingimundur, un retraité de la police, bâtit jour après jour et sans relâche pour sa fille, son gendre et sa petite fille. Ingimundur… sa vie a basculé en un instant, en un coup de volant, quand sa femme chérie est allée mystérieusement tout droit au bout de la route, plongeant irrémédiablement au pied de la falaise. 
Depuis Ingimundur, pour réussir à contenir son immense douleur, tenter de faire un deuil impossible, scie, cloue, emboîte inlassablement, et seule sa petite fille espiègle (géniale jeune actrice, qui est la propre fille du réalisateur) lui apporte des moments de bonheur et de sérénité que ne lui procurent pas forcément les séances de psychothérapie un peu désuètes délivrées via skype par un thérapeute de la ville.
Nouveau coup dur quand il comprend, au détour de quelques indices et d'une vidéo retrouvée, que, dans la période précédant sa mort, sa femme avait une liaison. La colère de découvrir cette relation adultère, ajoutée au deuil qu'il n'arrive pas à surmonter, va faire naître en lui une obsession paranoïaque : et si l'amant était lié à la mort de son épouse ?
Sur une trame somme toute classique de polar (mort / deuil / traque /vengeance), Hlynur  Pálmason déroule un récit intrigant en y glissant tout ce qu'on aime de l'imaginaire scandinave : une histoire belle et prenante comme une tragédie grecque, bousculée par des ruptures de ton qui peuvent être étonnamment tendres – le grand père s'amusant à faire peur à sa petite fille avec des récits effrayants qui la ravissent – ou furieusement cocasses – une bagarre pathétique entre Ingimundur et ses anciens collègues du commissariat local qui vire au grand burlesque.
Et puis il y a la mise en scène impressionnante, qui se nourrit des paysages telluriques, lunaires, irréels de ce coin perdu d'Islande : ainsi cette séquences aussi énigmatique que magnétique quand la caméra suit en plan séquence un rocher qui dévale interminablement la montagne jusqu'à l'océan…
Grâce à son talent visionnaire et à sa maîtrise du rythme, du cadre, de la lumière, grâce aussi à l'interprétation exceptionnelle d'Ingvar E. Sigurðsson, figure incontournable du cinéma islandais (il était entre autres l'acteur principal du polar Jar city, disponible en Vidéo en Poche, et du savoureux Des Chevaux et des hommes), qui décline magnifiquement toutes les étapes du deuil d'Ingimundur, jusqu'à un climax d'émotion lors de la dernière séquence, Hlynur  Pálmason rentre avec Un jour si blanc dans la cour des grands.