Un an après l'Ours d'argent de la meilleure réalisation remporté par l'excellente Małgorzata Szumowska pour Body, le Festival de Berlin accueille, également en compétition, une autre variation polonaise sur le thème du corps, vu sous un angle différent, étroitement chevillé aux ankyloses de la société polonaise et au moment précis de l'histoire du pays où elles se sont heurtées à une envie de libération et de modernité. En effet, l'histoire de United States of Love de Tomasz Wasilewski se passe après la chute du Mur de Berlin, alors que les premiers touristes ouest-allemands viennent nourrir l'économie locale, que les posters américains représentant des stars sexy se mettent à couvrir les murs des chambres des jeunes gens, les cours d'aérobique à envelopper de nylon extensible les corps des femmes, et que le pays voit l'éclosion du mouvement Solidarność.
Et pourtant, alors qu'on s'attendrait à voir cet élan nouveau se manifester par une explosion de couleurs vives correspondant à la mode de l'époque et de musiques énergiques, la photographie du film reste sous-saturée, presque uniformément gris pâle, et le son qu'on entend le plus est le silence de la solitude, entrecoupé d'oraisons. La vitalité de l'ère nouvelle qui commence est étouffée par une morosité héritée de longues années d'oppression et une honte catholique encore plus atavique qui confine la liberté sexuelle qui frappe à la porte aux boîtiers de plastique des cassettes vidéo qu'on regarde chez soi, seul. De cette contradiction naît chez les quatre femmes que suit Wasilewski – une mère de famille attirée par un jeune prêtre, une jolie directrice d'école répudiée par l'homme marié qu'elle fréquente depuis des années, sa sœur prof de gym, qui rêve d'être mannequin, et une enseignante en russe plus âgée qui habite dans le même immeuble – une frustration qui les fait se cacher pour pleurer, écouter à travers les murs en se gavant compulsivement de miel, espionner furtivement dans les douches, faire semblant de tomber pour attirer l'attention (ou au moins la compassion) de quelqu'un...
Alors que les corps voudraient exulter, danser, être admirés, touchés, aimés, dans cette société qui parle sans cesse d'amour comme une volonté de Dieu et du corps comme un temple, les corps de nos quatre malheureuses héroïnes, souvent nus, ne sont jamais magnifiés mais prostrés, mal offerts ou délaissés – dans des postures exprimant un abandon non pas sensuel, mais martyr, dégradé, comme dans l'attente d'une ablution purificatrice par une sœur d'infortune faite Marie-Madeleine. Une image reste à l'esprit qui fait irruption dans le film comme un interlude métaphorique : celle de cette toute jeune fille qui bascule, happée dans un lac gelé.