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Si l'on excepte ses adaptations de Gaston Leroux où il joue à Rouletabille, Bruno Podalydès consacre ses films (Dieu seul me voit, Liberté Oléron, Adieu Berthe…) à des personnages ordinaires dont soudainement la foldinguerie éclate au grand jour de manière comico-poétique. Et ça donne des comédies aussi originales que réjouissantes… Le personnage de Michel (joué par le réalisateur lui-même) n'échappe pas à la règle. Il est infographiste dans une boite tranquillement dirigée par son copain Rémi, quelque part dans l'Ouest parisien. Toute la journée il reste derrière son écran à modéliser en 3D des formes diverses. Mais quand vient la fin de la journée, l'esprit de Michel s'élève au firmament à travers sa passion : la glorieuse histoire de l'Aéropostale, qui fut fatale à Saint Exupéry. Et quand il met le contact de son scooter pour rentrer chez lui, il s'imagine un peu en Mermoz derrière le manche à balai de son Latécoère. Chez lui l'attend souvent Rachel (lumineuse Sandrine Kiberlain), la femme de sa vie, qui regarde avec tendresse ses petites manies et accepte sans sourciller la décoration de l'appartement, uniquement dévolue à la compagnie aérienne et aux objets qui s'y rapportent. Les collègues ne s'y trompent pas et quand c'est l'anniversaire de Michel, les cadeaux sont exclusivement liés à l'aviation. Mais la vie du monomaniaque va prendre un tour étrange : en cherchant des palindromes (des mots qui se lisent de droite à gauche aussi bien que de gauche à droite), il s'attarde sur une image de kayak (qui en est un, palindrome). Et soudainement se rend compte de la silhouette purement aéronautique de l'objet. Son obsession se transfère d'un coup sur l'embarcation. Il commande en secret un modèle de luxe en kit, qu'il assemble à grand peine dans son salon avant de le monter sur le toit de son immeuble… La suite va voir notre Michel, finalement soutenu par Rachel, se lancer, une fois l'intégralité de l'équipement du kayakiste hi-tech commandé, à l'assaut d'une rivière, en l'occurrence un très paisible cours d'eau, puis s'arrimer au bout de seulement quelques kilomètres à proximité d'une auberge estivale tenue par Lætitia (Agnès Jaoui troublante de sensualité) pour finalement bien plus de temps qu'il ne faudrait. Comme un avion célèbre le pas de côté que nous pouvons tous faire un jour ou l'autre, aussi rangées soient nos vies. Michel transforme un hobby obsessionnel en moyen de s'échapper pour quelques jours dans un havre de paix et de liberté, l'auberge de Laetitia qui semble doucement retirée du monde, en tout épicurisme. Comme un avion joue autant de l'humour burlesque du personnage de Michel, urbain maladroit, encombré de tout un tas de gadgets inutiles comme s'il se lançait dans un raid sur le Zambèze, que de la poésie engendrée par son escapade. Et le film est habité par une galerie de personnages secondaires touchants ou drôles : formidable Vimala Pons en jeune serveuse bohème un chouia dépressive, qui pleure à chaque pluie en souvenir d'un chagrin d'amour arrosé, ou Michel Vuillermoz en client éternel de l'auberge qui s'enfile absinthe sur absinthe entre deux travaux de peinture, et pour finir l'hilarant Pierre Arditi, dans le rôle d'un pêcheur irascible qui ressemble diablement à Pierre Arditi…