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Voilà un film brillant dont la mise en scène limpide ondule à la façon d'un impressionnant boustrophédon – type d'écriture imitant le mouvement des sillons tracés dans les champs, dans lequel les lignes se lisent alternativement de gauche à droite puis de droite à gauche. On suit avidement l'un des fils du récit et, quand on pense en atteindre le bout, on découvre qu'il fait partie d'une boucle malicieuse, délicieusement insaisissable, qui nous entraîne ailleurs. C'est malin et captivant ! Le titre lui-même est comme une énigme au multiples réponses. Pas l'ombre d'un tipi dans ce second film de Nassim Amaouche, pas plus qu'il n'y avait de colt dans Adieu Gary (pour Cooper), son déjà excellent premier. Cowboys, indiens : clins d'œils à la mythologie enfantine. Deux sortes de héros ennemis – le fort, le faible ; le chasseur, la proie – dans la peau desquels se glissent les gosses, avec la même intensité, un bonheur égal.
Les « Apaches », ce sont aussi ces voyous qui, à la belle époque, se singularisaient grâce à leur accoutrement, leurs rutilantes chaussures… Des Apaches ! Tout un symbole ! Celui d'un peuple brisé dont l'âme continua à subsister malgré la domination yankee. Tout comme les Kabyles survécurent aux Romains en se réfugiant haut dans les montagnes, du sommet desquelles notre histoire prend sa source. Là ils inventèrent un système d'organisation à propos duquel Karl Marx déclara : « j'ai trouvé chez les Berbères le socialisme de mes rêves ». C'était en 1882… Le temps a passé, certains sont redescendus vers les plaines, les métropoles, certains ont immigré et conservé leur modèle sociétal partout où ils se sont implantés. Jusqu'à nos jours… Indispensable prologue qui donne à l'intrigue une envergure qu'elle n'aurait pas eue sans cela et nous conduit jusqu'à Paris.
Il a une belle gueule d'ange ténébreux, Samir (Nassim Amaouche lui-même, qui se révèle excellent acteur). On fait sa connaissance dans un club de boxe où il est venu emprunter à un copain des chaussures noires en cuir. Peut-être pour décrocher un boulot ? Non, le voilà, tel un croque mort, en train de porter un cercueil… On devine, à sa tristesse contenue, que la défunte n'est autre que sa mère, Jeanne. À l'écart de la cérémonie, un homme qui aurait l'âge d'être son père observe la scène de loin, puis repart… Samir le voit, laisse là ses proches pour pister discrètement l'inconnu… Sa filature le conduit jusqu'à un bar : « Chez Djafar »…
Rentré chez lui, il exhume les objets du passé. C'est la ballerine d'une boîte à musique sertie dans une bouteille vide qui le renvoie vers l'époque où la bouteille en question était encore à moitié pleine sur le comptoir d'un bar où il traînait parfois, quand il faisait l'école buissonnière. Il était déjà un petit homme têtu qui n'avait pas froid aux yeux. Jeanne s'endormait parfois serrée contre-lui, terriblement dépassée par les événements, terriblement sensuelle… Et lui terriblement en colère qu'elle ne lui raconte rien de son géniteur, de ses origines, de la Kabylie…
Son père, ses origines, la Kabylie, Samir va reprendre contact avec eux à partir de ce fameux bar, « Chez Djafar »… et par l'intermédiaire d'un drôle d'avocat, Monsieur Jean (formidable André Dussolier), qui va l'amener à reprendre – au moins pour un temps – sa place dans la famille, dans le clan, dans la tribu… des Apaches.
L'histoire, finement ciselée, se déploie et nous emporte, entre approche réaliste passionnante – on découvre un milieu, ses rites, ses manières de vivre et de penser – et invention romanesque qui donne au film une dimension onirique, magique : ainsi ce voisin avec qui Samir entretient une étrange complicité mais qu'il ne parvient jamais à croiser, ce voisin écrivain qu'on aperçoit au travers des rideaux de la fenêtre d'en face, coiffé d'un stetson, en train de pianoter sur son clavier. Il hante le film en narrateur invisible, en fantôme bienveillant…