Entre document ethnographique et fiction enchanteresse, ce film nous emmène au cœur de l’Amazonie, au Nord du Brésil, pour suivre le récit initiatique d’Ihjãc, tout jeune père de famille appartenant à la communauté indigène des Krahô. Le Chant de la forêt est le fruit de la collaboration de la Brésilienne Renée Nader Messora et du Portugais João Salaviza qui étudient depuis de nombreuses années le peuple Krahô. Leur film représente un matériau authentique sur ce peuple primitif dans la mesure où chaque individu joue son propre rôle à l’écran. Ihjãc, sa femme Kôtô, leur fils, les habitants du village, le chaman : tous ont progressivement accepté la présence des cinéastes et livrent leur intimité sans retenue. Mais plus encore, la confiance gagnée a permis aux deux réalisateurs d’élaborer un véritable film de fiction en collaboration avec les Krahô, puisant dans ce que l’un d’eux vivait au moment du film. Ihjãc, alors tourmenté, devait se libérer de l’esprit de son père récemment décédé pour pouvoir trouver sa place au sein de la communauté. A l’étude anthropologique s’ajoute alors une puissante dimension symbolique qui place Le Chant de la forêt dans la lignée des grands travaux des cinéastes-ethnographes, de Robert Flaherty à Jean Rouch.
Dans une nuit aux reflets bleus et émeraude, à la seule lueur de la lune, Ihjãc marche dans la forêt. Il suit l’appel d’une voix lointaine qui le guide vers une cascade. C’est la voix de son père qui l’enjoint de le retrouver et de plonger dans l’eau. Mais cette invitation, Ihjãc sait qu’il ne doit pas l’accepter. L’esprit de son père défunt ne cesse de le hanter. Ihjãc, sa femme et son fils partent dans un premier temps loin du village pour échapper aux esprits. En vain. Le chaman explique à Ihjãc que désormais le perroquet, devenu maître de son esprit, le suit partout et qu’il ne cessera de l’importuner jusqu’à ce qu’il organise le rite funéraire qui permettra à son père de rejoindre le monde des morts.
Mais surtout, ce qu’Ihjãc a vu dans ses cauchemars annonce une nouvelle étape pour lui. Il a commencé à communiquer avec les morts et ces signes le disposent à devenir lui-même un chaman. Ihjãc le refuse, il n’entend que vivre la vie de famille qu’il a commencé à construire et ne rêve en rien d’incarner le rôle de chaman (on apprendra que les chamans sont souvent tués par les indigènes eux-mêmes, lorsqu’ils ne parviennent pas à guérir ou qu’ils provoquent le mauvais sort). Pensant fuir son destin, Ihjãc rejoint la ville la plus proche sous son nom Portugais, Henrique Ihjãc Krahô, pour soumettre son cas à la médecine occidentale. Mais que peut-il espérer de cette société qui ignore tout de sa condition ?
La magie du film tient à la jonction qu’il opère entre deux trajectoires. Il y a d’un côté le rapport conflictuel d’un jeune homme à sa culture ancestrale et l’aveuglement du monde occidental à tout autre forme de civilisation. De l’autre côté, des cinéastes qui enregistrent sur pellicule une langue, une mémoire et les coutumes d’une communauté immémoriale. Au centre, la prouesse que ce film ait pu servir aux uns et aux autres. Et la croyance folle, presque mystique, dans le cinéma comme rituel pour garder les traces, comprendre le monde et dialoguer avec les morts.