La "presse libre"
À en juger les réactions de la presse réunie à Berlin lors de la projection du matin à la dernière Berlinale, il a dû se sentir un peu seul, justement, l'acteur suisse Vincent Perez, lors de la séance de gala de Seul dans Berlin, son troisième long-métrage, sélectionné en compétition. Il faut dire que la presse et le public allemand sont particulièrement chatouilleux quand on leur présente des films sur la période la plus sombre de leur histoire, à savoir celle du nazisme, et Perez n'est pas le premier à avoir droit à quelques sifflets – même Clooney avait dû faire face de nombreuses critiques il y a deux ans, lors de la projection hors-compétition de ses The Monuments Men.
L'intention du film est certes louable : s'il a voulu adapter (avec Achim von Borries, un des scénaristes de Good Bye Lenin!) le best-seller éponyme de Hans Fallada que Primo Levi lui-même qualifia à l'époque, c'est-à-dire juste après la guerre, de "meilleur livre jamais écrit sur la résistance allemande au nazisme", c'est parce qu'il aimait "l'angle différent" adopté par le roman, l'idée de parler de la vie des gens ordinaires sous cet infect régime totalitaire et montrer que tous les Allemands n'avaient pas, même à l'époque, le nazisme chevillé au corps. En effet, Seul dans Berlin, inspiré d'une histoire vraie, raconte comment deux parents venant de perdre leur seul fils dans l'offensive victorieuse contre la France se mettent à diffuser dans la capitale teutonne des cartes postales anonymes, désignées comme la seule "presse libre" restant dans le pays, qualifiant Hitler de meurtrier et invitant le citoyen qui trouverait la carte à faire passer le message. Hélas, l'entreprise d'Otto et Anna Quangel (Brendan Gleeson et Emma Thompson) va se heurter à la soumission d'un peuple intoxiqué par les premières victoires du Führer et réduit à l'état de docile troupeau qui loin de faire circuler les billets, finit par en remettre directement la presque totalité aux autorités. Ainsi, le couple va être pris en chasse par le détective Escherich (incarné, bien sûr, par Daniel Brühl), d'autant plus déterminé qu'il risque gros lui aussi s'il ne parvient pas à traquer l'auteur mystérieux de ces cartes postales (ainsi va le totalitarisme).
Ainsi, le film se partage entre, d'une part, des moments intimes entre les deux parents inconsolables qui sont assez touchants (de même que les scènes où l'on voit Otto passer du temps dans la chambre du fils et toucher tous ses objets et livres sont assez émouvantes) et d'autre part le jeu du chat et de la souris avec Eschrich qui s'intensifie au fil du récit. Malgré tout, la force de l'histoire originale et du roman ne se retrouve pas dans le film, dont la mise en scène, de bonne facture mais assez conventionnelle, ne le distingue pas des nombreux films déjà réalisés sur ce genre de sujet. Par ailleurs, le choix, compréhensible mais maladroitement exécuté, d'embaucher quelques stars internationales (les précités ainsi que le Suédois Mikael Persbrandt en impitoyable officier SS) en affublant leur anglais d'un fort accent allemand et d'aligner tout le reste de la troupe, c'est-à-dire tous les acteurs allemands du film, sur ce choix linguistique, pourrait ajouter de l'eau au moulin des critiques.