Film-manifeste du Free Cinema britannique, Samedi soir, dimanche matin est une œuvre totalement révolutionnaire dans l'Angleterre des années 60. Car le spectateur découvre alors, stupéfait, une vision inédite du monde ouvrier. Il n'est plus ici question d'une classe sociale victime du capitalisme et inspirant la compassion : Arthur, personnage emblématique de son milieu, boit copieusement avec ses copains, sort avec une femme mariée, drague une jeune fille et, surtout, affiche une forme de détermination et d'assurance qui n'incite guère à le contrarier. Comme il le dit lui-même, "Moi, ce que je cherche, c'est à me payer du bon temps, tout le reste n'est que de la propagande !" La grande réussite de Karel Reisz, c'est d'éviter soigneusement toute psychologisation des rapports entre les personnages et de s'inscrire résolument dans un cinéma de l'action : même si ses décisions sont parfois inconséquentes, Arthur prend sa vie en main et va de l'avant. Autant dire qu'en abordant l'adultère et l'avortement sans point de vue moralisateur, le cinéaste bousculait les conventions sociales de l'époque.
Si Samedi soir, dimanche matin a autant marqué les esprits, c'est aussi parce qu'il exalte l'individualisme de la jeunesse dans une société encore profondément corsetée. Arthur apparaît ainsi comme un électron libre, désireux d'échapper au conformisme et, surtout, à l'intégration, voire à la disparition, dans le collectif. Il se démarque très nettement de la génération de son père, symbolisée par sa passivité devant l'écran de télévision, et se rebelle même contre la société dépositaire d'un ordre moral et de valeurs petite-bourgeoises qu'il a en horreur : il faut le voir tirer une balle – à blanc – sur une voisine fouineuse ou prendre la défense d'un pauvre homme contre lequel une foule haineuse s'est liguée. Partisan d'un hédonisme sans limite, Arthur se méfie de la consommation de masse et du développement rapide des logements HLM : alors que sa petite amie y voit l'espoir de meilleures conditions de vie, le protagoniste constate, avec tristesse, que c'est surtout le signe d'une urbanisation sauvage.
Formidablement moderne, Reisz distille les ingrédients du mélodrame – le poids du destin et du hasard à travers la grossesse non désirée et la rencontre fortuite à la fête foraine –, mais il en évite tous les poncifs grâce à un réalisme sans concession. C'est ainsi qu'il est constamment dans la retenue : pas d'effusion émotionnelle, ni de musique symphonique venant souligner les rebondissements de l'intrigue, ni de lyrisme dans la mise en scène. L'interprétation d'Albert Finney contribue également à ce sentiment de crudité : massif et charismatique, avec ce visage carré si particulier, il impose une présence magnétique indissociable du personnage d'Arthur. Une œuvre visionnaire et fascinante.